• Nétotchka Nezvanova •

C’est un rêveur : il pense que, brusquement, par une espèce de miracle,
en une seule fois, il deviendra l’homme le plus célèbre du monde.
Sa devise c’est : aut Caesar, aut nihil, comme si on pouvait devenir
César comme ça, brusquement, d’un seul coup. Son désir, c’est la gloire.
Et si ce genre de sentiment devient le moteur principal ou même unique
d’un artiste, cet artiste cesse d’être un artiste, il a perdu l’essentiel
de son instinct artistique, c’est- à- dire l’amour de l’art pour la seule raison
que c’est l’art, et pas autre chose, pas la gloire.

Moi aussi, j’aimais mon art avec passion, même si je savais, dès le tout début
de mon chemin, qu’il ne m’était pas donné beaucoup, que je serais,
au sens strict de ce terme, un manœuvre de l’art ; mais, en revanche,
je suis fier de ne pas avoir enterré, comme un esclave paresseux,
ce qui m’avait été donné par la nature, et, au contraire, de l’avoir multiplié cent fois,
et si l’on me félicite pour la netteté de mon jeu, si l’on s’étonne de l’élaboration
de ma technique, cela, je le dois à un travail incessant, infatigable,
à une conscience claire de mes forces, à cet abaissement que je m’imposais
moi-même et à ma haine constante envers l’arrogance, l’autosatisfaction facile,
et la paresse, comme une conséquence naturelle de cette autosatisfaction.

Dostoïevski
odysseus

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